L’Afrique
pleure un grand homme, un homme irremplaçable. La musique congolaise a perdu
une icône. Le monde de la musique a perdu une voix. Le Vieux Bokul s’en est
allé. L’ange de la mort est venu le chercher à la « tâche ». À l’instar
de Marc Vivien Efoé ou encore de Molière, il est mort en faisant ce qu’il aime
le plus, ce pour quoi il a vécu. Plus de quarante ans de vie de scène et un
impressionnant héritage discographique : c’est ce que nous laisse ce monument
de la musique africaine et mondiale.
À
l’aube de ce dimanche 24 Avril, le chanteur congolais de 66 ans s’est effondré sur
scène pendant qu’il interprétait sa quatrième chanson. Alors qu’il était l’invité
d’honneur à cette 9ème édition du FEMUA (Festival des Musiques
Urbaines d’Anumabo) initié par le groupe ivoiren Magic System, Papa Wemba a eu
l’honneur de clôturer cette manifestation culturelle de grande ampleur. On
comprendra plus tard qu’il l’a plutôt marqué à jamais de son sceau. Car, pendant
longtemps, on se souviendra de lui et on ne parlera pas de l’édition n°9 du FEMUA
sans évoquer cet événement tragique. Ceux
qui étaient à ce concert, sans le vouloir et sans le savoir, lui ont rendu par
leurs ovations un dernier hommage vivant.
Jules Shungu Wembadio Pene Kikumba
alias Papa Wemba a tiré sa révérence à Abidjan à 2400 kilomètres de
sa terre natale, la République Démocratique du Congo. Ses pieds ne monteront
plus jamais sur scène. Le podium d’Anumabo restera le dernier qu’il aura foulé. En
Afrique centrale et ailleurs dans le monde, cette voix unique qui a été l’un
des emblèmes du continent africain demeurera gravée à jamais dans les cœurs.
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Ces
images resteront les dernières qu’on gardera de lui... Jamais plus, cette voix
limpide et légèrement éraillée qui a bercé nos vies et est devenu familière à
nos oreilles ne vibrera plus d’émotion comme à son habitude. Jamais plus, nous
n’entendrons le roi de la rumba congolaise chanter en live. Cependant, le chef
coutumier de Molokaï nous laisse un riche héritage de plusieurs albums, le don
inestimable de cet homme qui n’a pas vécu en vain.
Le
10 mars dernier, invité dans l’émission Afronight
de Serge Fattoh sur Telesud, le Grand Maya a exprimé son vœu le plus cher :
« le dernier concert… je crois que
ce sera sur scène que je partirai devant tous mes fans réunis ». Voilà, son vœu a été exaucé! Une étoile, un pilier important, un porte-flambeau de la musique congolaise, un
grand monument africain aussi bien en notoriété qu’en qualité, Papa Wemba est
aimé et adulé de ses innombrables fans et de ses pairs musiciens. Sa mort représente
une perte considérable pour le monde culturel africain, laissant orphelins tous
ces étoiles montantes de la musique africaine. Puisqu’il a été le moule de
nombre de chanteurs africains confirmés comme Koffi Olomidé, King Kester
Emeneya, Fally Ipupa. Il a tant aimé la musique qu’il est parti en la servant…
Un petit
roman de la vie de l’homme…
Tout commence dans les
années 1950 qui ont fini de consacrer la célèbre rumba congolaise qui déjà était
à son apogée sur tout le continent africain. Plus d’un demi-siècle plus tard,
elle fait toujours vibrer les cœurs, esquisser des pas de danse et raviver des
souvenirs longtemps enfouis. Papa Wemba
demeure l’un des messagers les plus inspirés de ce genre musical très prisé
au-delà des continents. Fils d’une pleureuse professionnelle, maillon
traditionnel important dans les soirées funéraires et veillées mortuaires, Papa Wemba a hérité de sa mère la
passion pour la musique et le chant. Le début de la prestigieuse carrière
musicale que nous lui connaissons aujourd’hui a commencé dans sa paroisse où sa
voix emblématique a été un repère. Inspiré par la chanson anglo-saxonne des
années 60, il s’est surnommé Jules Presley. Il a ainsi joué et chanté dans différents groupes de la
capitale, Kinshasa.
Trouvant la rumba
traditionnelle un peu trop lente et dépassée, il fut l’un des pères du célèbre
groupe zaïrois des années 70, Zaïko Langa
Langa. Ils redynamisent cette musique et le succès est immédiat. Papa Wemba devient alors une vedette et
domine son groupe. En 1975, armé de sa récente notoriété, il s’en va créer son
propre groupe folklorique : Isifi
Lokolé qui malheureusement aura une durée de vie très limité. Ensuite, Viva la Musica vit le jour en 1977.
Composé d’à peu près quinze musiciens, ce groupe a propulsé le jeune chanteur
au rang de star dans tout le Zaïre et au-delà des fleuves qui encerclent le
pays. Son tube ‘’Analengo’’ lui fait
faire le tour de l’Afrique avec un palmarès de vente de plus de 60.000
exemplaires.
Le roi de la rumba
congolaise a commencé à perfectionner la qualité de sa musique lorsque les
portes des studios d’enregistrement européens s’ouvrent pour lui au début des
années 80. Mais étant toujours dépendant d’un contrat exclusif avec le label
Visa 80 de Luambo Makiadi, alias Franco, il lui a fallu attendre quelques temps
avant de pouvoir collaborer avec les européens. Plus tard, Papa Wemba a fait de Paris, le carrefour des musiques africaines où
naît le concept du Worldmusic. Car, « qui
gagne paris, gagne le cœur du monde ».
En Europe, Papa Wemba est non seulement un
chanteur mais aussi le prince, le ‘’pape’’ de la SAPE, comprenez par là Société des Ambianceurs et des Personnes
Elégantes. Au Congo, ce mouvement est né à la fin des années 70 et a
été très populaire auprès de la diaspora zaïro-congolaise spécialement en France.
La Sape ou la Sapologie est caractérisée d’abord par une élégance vestimentaire
flamboyante et exagérée dont Papa Wemba
lui-même est la totale personnification. Des coupes extravagantes de cheveux au
choix particulier des chaussures, les jeunes s’empressent d’adopter et l’homme
et son concept.
Naturellement, Papa Wemba a réalisé des feats avec de
nombreux musiciens français dont Hector Zazou. Cependant, ses allers-retours entre le Zaïre et la France
ne l’empêchent pas d’effectuer de longues tournées africaines comme l’inoubliable
qu’il a entrepris en avril 83 dans tout l’Est du pays jusqu’au Rwanda et au
Burundi. A cette étape de sa carrière, il a déjà à son actif une soixantaine de
tournées et plusieurs albums.
Après un séjour en
Europe, il revient au pays en juillet 1984 avec son ‘’soukouss-new wave’’, une nouvelle tendance, et entame une vague
de tournées et de concerts avec son groupe Viva la Musica. Dans le climat de
crise qui caractérise cette époque, l’euphorie et la contagion des sens que véhiculent
Papa Wemba et sa musique constituent
un véritable remède, un baume apaisant.
En 1987, il endosse le
manteau de comédien et tient le rôle principal dans le film franco-zaïrois ‘’La
Vie est belle’’ dont il compose aussi la bande originale. Le 09 Décembre 1988,
c’est à la Cigale à Paris qu’il célèbre la fin d’une de ses tournées
internationales en organisant un concours de SAPE dans la première partie de
son concert.
Entre 1990 et 2002, il
a passé sa vie entre un répertoire de festivals, de concerts, de spectacles et
de sortes d’albums. L’année suivante, Papa
Wemba a connu des démêlés avec la police française, ce qui lui a valu trois
mois et demi de détention : un intermède dans sa vie musicale. Ce bref
séjour lui a permis d’avoir une nouvelle vision de la vie et ainsi de composer
de nouvelles chansons avec lesquelles il a sympathisé avec son public dès sa
sortie.
Lors de la visite du
pape Bénoit XVI au Bénin en novembre 2011, il s’est produit à Cotonou et a terminé l’année par des concerts au Togo et
en Guinée équatoriale, avant de se rendre en 2012 au Gabon puis en Côte d’Ivoire.
Un peu plus tard, après la célébration des 35 ans de son groupe Viva la Musica
à Kinshasa, il chante ‘’Mode d’emploi’’
pour dire ‘’non à la balkanisation du Congo’’. En juin 2014, le chanteur
sexagénaire sort le double album ‘’Maître
d’école’’. Son dernier album ‘’Merci
Papa’’ qui vit le jour le 7 décembre dernier a été comme la signature d’une
fructueuse carrière et en même temps comme un signe d’adieu.
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