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22 septembre 2015

L’Afrique et les télénovelas : une vraie histoire d’amour


Dona Beija, Femmes de sable, Au coeur du péché, Rédemption, le Roman de la vie, Entre justice et vengeance, Maria la del barrio, Barbarita, Rosario, Destins croisés, El Diablo, Le Triomphe de l'Amour, La Force du destin, Saloni, La Reine du Sud... La liste est si longue que vouloir s’en rappeler tous serait mettre à rude épreuve sa mémoire. Autant de séries télévisées qui envahissent nos écrans de telle sorte que parfois l’on se retrouve dans l’embarras de choix. Pour la plupart, produits latino-américains, indiens et récemment chinois, les télénovelas font désormais partie intégrante de la vie quotidienne de bien d’africains. Ces séries à l’eau de rose attirent et fidélisent des millions de téléspectateurs mais surtout de téléspectatrices surtout en Afrique occidentale ; ce qui n’est pas pour déplaire les distributeurs de programmes audiovisuels. Finalement, chacun y trouve son compte.  



A l’origine, moyens de divertissement télévisuel propres aux pays d’Amérique du sud et d’Europe, les telenovelas s’exportent aujourd’hui vers plus d’une centaine de pays à travers le monde. L’Afrique occidentale s’en est appropriée depuis la fin des années 80. Leur consommation demeure un phénomène de masse incluant tous les âges, les cultures et les niveaux sociaux : un public hétérogène constitué de 90% de femmes, parfois envahies par l’émotion jusqu’aux larmes. Elles viennent de trouver là un élément de taille qui rivalise avec les matchs de foot en ce qui concerne les hommes.
Dans ces feuilletons, on retrouve souvent des personnages à la recherche de l’amour parfait, une mère célibataire élevant seule ses enfants après l'abandon ou la mort de son mari (Marisa dans Amour à Manhattan), de jolies jeunes femmes pauvres se servant de leur beauté et de leur charme pour réussir dans la vie quitte à ruiner la vie d'autres personnes ou des femmes tout juste cruelles et méchantes (exemple de Rubi dans Rubi ou Antonia Guerra dans La Patrona), des hommes et femmes arrivistes, vénaux, avides de pouvoir et de richesse, prêts à tout pour arriver à leurs fins, des histoires d'amour entre des servantes crédules et des fils de la haute société . Amour, gloire, beauté, argent, vengeance, mensonges et trahisons se côtoient, s’embrassent et s’entremêlent parfaitement ; caractérisant le scénario des télénovelas. Nombre d’entre eux comportent des personnages catholiques très pieux, des religieux, un prêtre (exemple : Le triomphe de l’amour). Quasiment toutes se terminent par un mariage entre l’héro et l’héroïne, la condamnation ou la mort des personnages « méchants » ayant commis le mal (Martin Acero "El Hierro" dans El Diablo ou Antonia Guerra dans La Patrona) ; dans presque tous les cas, c’est une fin très heureuse qui couronne les personnages ayant fait le bien et qui ont souffert injustement. En somme, il ya toujours une leçon de morale à la fin des feuilletons. 



Les télénovelas : moteurs de changements sociaux
 Mais, évidemment que les téléspectateurs mais surtout les téléspectatrices, chacune selon ses convictions préfèrent tel acteur ou telle actrice à l’autre.  En conséquence, elles arrivent très facilement à se laisser convaincre et peuvent s'identifier à un ou plusieurs personnages, à entrer dans la peau des personnages. La plupart du temps, ce ne sont ni les tournures de langage, ni les jeux des acteurs, ni le suspens des différentes actions qui les intéressent mais plutôt l’habillement, la coiffure, les mauvais tours joués, les petites méchancetés ou encore la beauté et la richesse de certains personnages qui les éblouissent et les captivent. Et, évidemment, chacune s’évertue à imiter la démarche, le langage ou encore l’habillement de telle ou telle actrice. C’est ainsi, que certains n’hésitent pas à donner le nom de leur acteur ou actrice préférée à leur enfant. Parfois, c’est un nouveau style qui est adopté portant le nom des personnages (exemple : une forme de pain dans les années 90 appelée Dona Beija).
A travers ces feuilletons, les téléspectatrices trouvent chacune le moyen de réaliser son rêve : trouver l’amour parfait, savoir que d’autres mères célibataires existent et partager leur quotidien, rêver la vie familiale idéale, vivre le coup de foudre, goûter la tendresse et l’affection conjugale … bref c’est là une raison pour laquelle la gente féminine apprécie particulièrement les télénovelas. Elles s’identifient aux héroïnes et parfois même s’efforcent de les incarner. Ainsi, les jeunes femmes célibataires puisent dans ces feuilletons le courage et la force nécessaire pour prendre en main leur vie sentimentale et chercher le bonheur. De même, les femmes mariées utilisent de nouvelles astuces pour revendiquer plus d’amour, de tendresse et de liberté dans leur vie conjugale. La plupart des thèmes abordés dans ces séries télévisées (trahison, vengeance, adultère, mariage…) donnent lieu de réflexion et poussent à une comparaison des réalités de part et d’autre des océans.


Les télénovelas, pour une plus grande liberté d’expression
Une autre innovation qu’on doit aux feuilletons, c’est la plus grande liberté de parole sur les sujets ayant trait à la sexualité et aux sentiments, lesquels sont réglementés par une culture qui valorise la pudeur et le contrôle des sentiments. D’une part, les télénovelas ont permis aux femmes africaines de contourner les règles pré-établies par la société afin d’avoir leur mot à dire. Toutefois, compte tenu de la différence des réalités, les comportements observés à la télé ne sont pas toujours substituables aux réalités africaines. Ainsi, le désir des femmes de s’affirmer se heurte à des entraves dans une société où les femmes dépendent encore financièrement de leurs maris et où la contraception n’est pas pleinement acceptée. D’autre part, les télénovelas constituent le sujet principal des conversations à la maison, entre élèves et étudiants, dans les bureaux, au marché… Le suspens entre deux épisodes donne lieu à toutes les suppositions possibles. C’est l’occasion d’aborder plus aisément les sujets les plus embarrassants et de donner plus librement des opinions personnelles. Dans un espace commun de discussion, les différences d’âge et de genre tendent à disparaitre constituant ainsi un point positif remarquable lié à l’évolution des rapports sociaux.


Les télénovelas : quelle leçon pour la jeunesse ?
La plupart du temps, les histoires d’amour des télénovelas influencent les sentiments et la psychologie des adolescents faisant ainsi émerger en eux précocement des sensations étranges qu’ils qualifient naïvement d’ « amour ». Cela les mélangent tellement qu’ils s’embrouillent et se démerdent à distinguer amour, passion et désir. Pour certains d’entre eux, ils reproduisent les étreintes et gestes érotiques des acteurs et actrices sans savoir à quoi s’attendre. Ce n’est donc pas pour rien que ces feuilletons sont diffusés à des heures où presque toute la famille est réunie pour le dîner. Evidemment, certains parents pensent que priver leurs enfants de les regarder constitue la solution ; mais hélas ! Les télénovelas, il y en a tellement et disponible partout si bien que ces interdictions ne font que raviver l’esprit de curiosité de ces enfants. Excepté le contenu culturel propre à ces feuilletons, ils ont un autre impact pour le moins négatif. Généralement diffusés en soirée (aux heures de grande audience, juste avant l’édition du journal télévisé), ils rivalisent de concurrence avec les leçons des élèves. Aussi bien que, de nos jours, il est beaucoup plus facile pour certains enfants de restituer le scénario de ces feuilletons et savoir par cœur les chansons les caractérisant que de réciter leurs leçons.
Cet impact psychologique ne se limite pas seulement à la jeunesse. En effet, il est plutôt fréquent de constater même dans les bureaux, dans la rue ou au marché des adultes se précipitant pour ne pas rater un épisode.
Que de disputes ces télénovelas n’ont fait éclater dans les familles ! Que de fois chrétiennes n’ont été mises à l’épreuve! Que de grossesses précoces ! Que de désaccords entre parents sur la manière d’éduquer leurs enfants à ce propos ! Pour résumer, excepté certains côtés positifs, ces feuilletons sont à l’origine de beaucoup de maux dans notre société actuelle. En somme, le phénomène des télénovelas a pris un caractère manifestement grandissant et généralisé auprès des populations. Qu’est-ce qui explique cet intérêt accru ?

Retour sur les raisons d’un tel engouement
D’abord, ce n’est que le résultat de la concurrence des chaînes de télévision locales pour offrir le plus de feuilletons possible. Ils rivalisent de concurrence pour satisfaire l’audience toujours assoiffée si bien qu’à l’heure actuelle, les chaînes africaines n’ayant pas encore diffusé de télénovela sont presque ou quasiment inexistantes. Les raisons pour expliquer ce phénomène ne sont pas exhaustives. Cependant, le thème principal étant l’amour, il ya de quoi expliquer cet intérêt général. Ces histoires à l’eau de rose qui célèbrent la beauté et l’amour ne sont pas pour déplaire, surtout les femmes. « Ça fait rêver », disent la plupart. En plus, à côté de la relative situation de pauvreté qui caractérise la majorité des populations africaines, le thème de la richesse et de l’argent qui circule librement ne peut les laisser indifférents. Au-delà de ces thèmes, le décor et les acteurs principaux sont soigneusement choisis pour captiver et faire fantasmer plus d’un : ils ont tout pour plaire. On se rappelle comme si c’était hier de la fièvre suscitée par des personnages comme Marimar (Marimar), Miranda Valadares (Destins croisés), Angel Salvador (El diablo), Edouardo Montenegro (Entre justice et vengeance)… pour ne citer que ceux-là.
            Il est aussi important de souligner que les acteurs de télénovelas font preuve d’un professionnalisme qui n’est pas toujours au rendez-vous dans le cas des séries télévisées africaines qui, en plus d’une qualité visuelle médiocre, présentent beaucoup de lacunes dans la prestation scénique. Ils n’y mettent pas tout le naturel nécessaire pour les rendre vivants mais l’automatisme prend le dessus. En bref, c’est une question d’esthétique qui le dispute à la médiocrité. Avec ces feuilletons, nos productions locales ne peuvent avoir plus pire ennemis.


Cela introduit la question de l’état du 7ème art dans nos pays. Pendant que l’évolution technologique change le visage de l’audiovisuel, où en sommes-nous ? A cette question, il ne faut pas seulement trouver des réponses mais chercher à résoudre le problème. Le premier pas serait de perfectionner les matériels de travail dans le cadre du cinéma, régler les pendules par rapport à l’évolution de la technologie. Ensuite, les divers acteurs impliqués dans le domaine du 7ème art doivent mobiliser les ressources nécessaires pour être en mesure de produire des films d’une bonne qualité. Heureusement, que les pays comme l’Afrique du sud, le Nigéria, le Ghana, la Côte d’Ivoire l’ont compris plus tôt. Pour terminer, il y a une responsabilité partagée du côté de certains Etats africains qui n’accordent aucun crédit à ce qui relève du champ culturel, sans mentionner particulièrement le cinéma. Donc, pour voir nos pays se hisser sur l’échelle mondiale, il va falloir revoir nos moyens.

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